Barrière

Publié le par leslignesdegalatee.over-blog.com

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Jour 1

 

J’écris sur ce cahier parce que je ne comprends rien je suis perdue. Et je ne suis pas la seule. Les images de ce matin m'obsèdent. J’essaie de comprendre, de trouver un sens.

Je Nous sommes sur une plage. Nous, c’est les autres et moi. Je ne sais pas qui ils sont et ils ne savent pas qui je suis. Il y a ce son qui sort de ma bouche, de nos bouches, ce son envahit l’espace et couvre le bruit du ressac de la mer. Mes pieds sont nus et humides, j’ai froid. J’ose ouvrir les yeux. Je ne sais pas ce que je fais là. En réalisant mon existence, ma présence parmi d’autres, ma voix s'enraie. Nous sommes là, les bras levés au ciel et ce chant continue à se propager à travers les cieux. Il s’arrête petit à petit. Tout le monde semble sortir d’une léthargie. Nous formons plusieurs cercles les uns dans les autres. Le bruit des vagues couvre le silence pesant. On s’observe. Mon regard n’arrive pas à quitter des yeux un jeune homme, grand et fort. Il se trouve seulement à quelques mètres de moi. Je n’ose pas bouger mes yeux, j’ai trop peur de ce que je pourrais découvrir. Nous baissons les bras les uns après les autres et ils commencent à quitter la plage un à un, sans un mot.

J’ai beau me repasser ces images en tête, je ne comprends pas ce qu’il s’est passé. Je suis restée sur la plage et Un type est resté sur la plage avec moi, un brun maigrichon avec des lunettes. On se présente, lui Marc, moi Elisa. Oui on se souvient de nos prénoms, mais du reste… Il me dit qu’il trouve ça cela super bizarre, je suis rassurée car je ne suis pas la seule à être perdue. Il affirme qu’on s’est fait manipuler par le gouvernement, ou une secte. Personnellement, je trouve cela stupide. Quel est l’intérêt de faire chanter des gens les bras en l’air ? Je n’ai pas envie de parler de cela, j’ai envie de trouver des repères et d’oublier cet incident. Je cherche toujours ce soir…

En fait nous sommes dans une sorte de village portuaire, avec une trentaine de maisons qui se battent en duel et un port  à l’abandon. Quand je suis arrivée, suivie de Marc (il ne me lâche pas celui là !), la plupart des gens s’étaient installés dans les différents habitats. Je suis allée voir quelques personnes dans l’espoir qu’ils se souviennent et me guident, mais tous me répondent que l’instinct leur a dit d’aller là, un point c’est tout. Ils ne savent rien. Moi je ne sais pas où aller, cet endroit ne me rappelle rien, à Marc non plus. D’ailleurs sur la place du village, il y avait quelque chose d’étrange, un tas de cendres, du papier brûlé… La plupart des gens ne l’ont pas remarqué, j’ai failli ne pas le voir aussi, mais Marc est fasciné par cette découverte. Je m’en moque un peu, tout ce que je veux, c’est me sentir chez moi. Une barrière en bois entoure le village et coupe la route principale. Bizarrement, je ne veux pas savoir ce qu’il y a plus loin. Je pourrais peut être retrouver des gens, ma maison, ma mémoire mais je sais que c’est faux, que la réponse est ici. Ou pas. Elle doit être ici. Personne n’a voulu ouvrir cette simple barrière en bois. Même Marc m’a dit que c’était mal.

Nous sommes tous les deux dans une grange (super), toutes les maisons ont l’air prises. Nous sommes allés demander le nécessaire pour pouvoir vivre ici à la maison d’à côté. C’est un couple de vieux. Ça m’a un peu étonné qu’ils sachent qu’ils étaient un couple, mais ils m’ont montrée leurs poignets, avec un drôle de signe dessiné au stylo. Je n’ai pas à chercher à comprendre plus loin. La vieille nous a regardés d’un sale œil, comme si on lui prenait sa grange. Je lui ai fait remarqué qu’elle était peut être dans ma maison et qu’elle devrait chercher un signe au stylo sur un bâtiment avant de se prétendre elle-même propriétaire. Heureusement que le papy est gentil, il nous a même fait à manger. Je me suis demandée pendant le repas si leur signe voulait dire ennemi plutôt que « chéri c’est moi ». Ils sont tellement différents. Si j’avais été lui, j’aurais effacé cette trace de stylo pour ne pas me retrouver avec elle. On dirait un bulldog avec son double menton. Ce qui m’agace au plus au point, c’est qu’elle croit que je sors avec Marc.  Il est tout maigre, il a un rire niais et je ne supporte pas quand il prend ce regard d’inspecteur. Il n’arrête pas de parler de conspiration. Avant de valider la grange comme habitat, il n’arrête pas de fouiller partout, cherchant micros et caméras. J’aurais bien aimé qu’il en trouve, comme ça je serai restée là toute seule et en paix… Non ce n’est pas vrai. Je dois avouer que sa présence, bien qu’agaçante, me réconforte.

Quand il s’est mis à inspecter la maison des vieux pour trouver je ne sais quoi, je suis retournée sur la plage. Je ne voulais plus voir ce drôle de type. Mais en fait regarder le soleil se coucher sur la mer m’a rendue triste plus qu’autre chose. Je suis seule. Et j’ai réalisé, oui c’est moche, que Marc est le seul à être venu vers moi. Je ne peux pas m’en passer pour l’instant. J’ai eu une douleur aux poumons, une angoisse saisissante. Je ne supporte pas cette idée de vide, de rien. Je me suis assise sur le sable et j’ai pleuré. C’est là que j’ai revu mon homme grand et fort (miam). Il regardait la mer à quelques mètres de moi. Sans réfléchir, j’ai mis quelques minutes à me décider, je me suis levée et me suis blottie dans ses bras. Je pensais ressentir une chaleur, un sentiment de reconnaissance, mais rien. Lui non plus ne pouvait pas m’aider à comprendre. Il me prit dans ses bras sans rien dire. C’était assez froid. Il s’appelle Alex. Il vit avec une femme mûre dans une grande maison. C’est tout ce que je sais. Il est parti sans un mot de plus, alors que j’avais tant de questions à lui poser. Je ne sais pas pourquoi il m’attire, bon déjà il est grand et fort ! J’ai juste envie d’être à ses côtés, plutôt qu’être avec l’autre là. Quand je suis rentrée, Marc m’a présenté ses excuses, il ne voulait pas se retrouver seul. Je le comprends.

            Au lieu de me poser des questions sur cette drôle de situation, je me demande comment arranger cette grange. Il va faire sans doute froid cette nuit, heureusement que j’ai trouvé le pull. Il est Ah oui les costumes ! Certains d’entre nous, dont moi, portaient des vêtements noirs pieds nus. Quand je suis arrivée, une femme aux cheveux bouclés, Catherine,  distribuait gratuitement des vêtements. Elle s’était attribuée tout naturellement le seul magasin du village.Nous étions les derniers arrivés. J’ai réussi à avoir un jean trop court, des chaussures trop grandes mais un pull à ma taille. La femme, Catherine, nous fit remarquer que seuls les plus jeunes avaient ce drôle de slim et ce justaucorps. Heureusement que je l’ai enlevé, on voyait trop mon ventre à mon goût. Ce n’est pas vraiment attirant. Marc s’empressa d’élaborer des théories que je n’ai pas écoutées. En gros ceux qui ont la vingtaine avaient ce costume, les autres adultes portaient déjà des vêtements classiques. Mais personne ne nous considère comme des intrus. Nous sommes les plus jeunes. Il n’y a pas d’enfants apparemment.

 

Jour 2

 

Hier en écrivant je me suis rendue compte d’une chose : où sont passés les enfants ? C’est quand même bizarre que je fasse partie des plus jeunes. S’il y a des vieillards, pourquoi pas des enfants ? Je fis part de mon étonnement à Marc. Il s’excita aussitôt et organisa une réunion ce matin.

Les gens se sont réunis dans notre grange, enfin Marc les a harcelés pour qu’ils viennent. Marc avait annoncé qu’il avait une grande révélation à faire. Tu parles, il n’avait même pas calculé pour les enfants. La plupart devait s’attendre à une explication sur notre situation. J’étais très mal à l’aise. Mais je préférais que ce soit lui qui parle plutôt que moi. Marc a fait son discours de conspiration et m’a laissée la parole sans que je réclame quoique ce soit. Le lâche, il a juste fait une introduction sans rien dire de concret. Il me laissait le sale boulot après avoir fait monté la pression. Je l’ai maudit en mon for intérieur.

J’ai dû dire un truc du genre : « Euh quelqu’un sait où sont les enfants ? ». Ma voix était chevrotant, je déteste ça, ça fait la fille mal dans sa peau.

Grand silence. Tout le monde se regardait, horrifié. Personne n’avait pensé aux enfants, ils avaient tous oublié. J’étais fière de l’effet de mon information. Un grand homme bourru et costaud se leva. C’était Boris, sa moustache frémit à chacun de ses mots. « Il y a un hangar au fond de mon jardin. Hier, je n’ai pas osé y aller. Je… je sentais que je ne devais pas y aller. Ce matin, j’ai remarqué que les portes étaient bloquées par une planche. Je… Peut être faudrait il y aller ? ». En disant cela, tout le monde se leva. Je n’ai pas compris sur le coup. Je pensais qu’ils avaient oublié à propos des enfants. Je les ai suivi, curieuse d’apprendre ce qui se cachait derrière les portes.

Des jouets, des tas de jouets. On se demanda ce que cela faisait là. Même Marc n’arrivait pas à trouver une théorie. Les jouets étaient rangés proprement parfaitement, des peluches, des petites voitures, des balançoires... Des vêtements aussi. Mais pas d’enfants en vue.

Le soir, en mangeant chez les grands-parents, mamie m’a demandé quand est-ce que je comptais « sortir les objets du hangar ».

Pardon ?

Ba vi (elle commence toujours ses phrases par ba vi), ils sont là pour être utilisés ses jouets. Mais rassure moi, tu ne comptes pas faire un petit avec le gringalet là ? »

Et ce qui est étrange, c’est qu’elle n’est pas la seule à avoir fait cette remarque.

Pierre et Sophie. Je suis jalouse. Je me souviens d’eux, ils étaient dans le cercle sur cette plage, ils se tenaient la main à notre éveil, ils ont tout fait ensemble et quand les jouets ont été découvert, ils se sont regardés genre « Faisons des enfants pour vider la grange ». Comme si leur vie se résumait à cela. Les gens aussi leur ont fait des remarques comme mamie, et ils se regardaient l’œil plein d’espoir. Je suis jalouse. J’ai l’impression d’avoir manqué le coche. Tout le monde croit que je suis avec Marc alors que c’est du simple… dépit. Et lui tout ce qui l’intéresse, c’est de trouver des preuves à sa conspiration. Ce qui ne me dérangerait pas, c’est qu’on pense que je sois avec Alex (miam). Mais je ne l’ai pratiquement pas vu aujourd’hui et il ne semble pas éprouver d’intérêt pour moi.

 

Jour 8

 

Les gens font leur vie comme si de rien n'était. Ils ont l’air d’avoir oublié ce qui est arrivé. Il y a un petit commerce, certains vont pêcher, d’autres s’occupent du potager ou coupent du bois. Mamie m’a proposé un cours sur les plantations si je voulais. Super. Marc avait décidé d’organiser une réunion, mais personne n’est venu. Les gens croient que le harcèlement est son moyen de communication de base, cela ne leur fait plus rien. Il a découvert une photographie d’enfant dans la maison des vieux. Elle était cachée derrière un meuble. Un petit garçon tout souriant. La vieille s’est mise à pleurer en le voyant mais elle n’a pas su expliquer pourquoi. Apparemment d’autres en ont. Mais tous disent qu’il faut les détruire, que ce n’est plus important, sans savoir pourquoi. Je me demande s’ils nous cachent la vérité. Depuis le flop de la réunion, Marc s’occupe avec le vieux de réparer une vieille voiture qu’il y a dans le garage. Il m’a avoué que cela ne servait à rien, mais que cela l’occupait. A part lui et moi, personne ne se pose des questions. Même les autres « jeunes » vivent dans l’insouciance. Virginie chante quand elle ramasse des framboises ! Parlons de choses positives plutôt.

Nous avons aménagé la grange. La plupart des habitants nous ont fourni du mobilier. Nous avons même un petit poêle. Tous les soins nous mangeons chez les vieux. Ils nous fournissent pratiquement tout. Je commence à m’habituer à tout cela, mais pas Marc. Le pire je crois, c’est que je me sois accommodée de sa présence. J’écoute ses théories d’une seule oreille et ne m’énerve plus quand tout le monde nous prend pour un couple. Il ne faut vraiment pas que je m’habitue.

 

Jour 11

 

J’ai fait une sacrée découverte ! Je n’en reviens pas ! Mais commençons par le commencement. Roulement de tambours. Comme je l’ai dit, cela me déprime que tout le monde trouve son bonheur sauf moi. Seule la présence de Alex m’apporte du réconfort mais je ne le croise jamais. Et il n’a pas l’air de me chercher non plus. Cela me frustre que je ressente des choses pour lui et que ce ne soit pas réciproque. J’aime bien aller sur la plage, cela me défoule. Elle n’est pas bien grande, la mer la contourne assez rapidement. Je m’assoie là où nous nous sommes réveillés. Je me couvre les pieds avec le sable, j’aime bien, ça me détend. Ce matin, j’ai senti quelque chose de dur. Je me suis mise à fouiller. Il y une plaque sous le sable. Je n’ai pas pu découvrir beaucoup de surface. Il y a d’étranges symboles dessus à ce que j’ai pu voir. Dès que j’ai découvert cela, je me suis précipitée chez nous. Marc ne s’y trouve pas. Alors j’écris en l’attendant. Je ne sais pas où il peut

Je suis allée dans le garage de papy, Marc a sursauté quand je suis entrée. Alex (plus du tout miam) était là. Ils ont essayé maladroitement de recouvrir la voiture avec un drap. J’ai mis quelques minutes à comprendre qu’ils comptaient s’en servir. Marc m’a lancée un regard plein de méfiance. Je dois avouer que cela m’a fait mal. Il est ma seule famille famille. Il m’a demandé d’un ton froid ce que je voulais. J’ai regardé Alex, toujours aussi distant. Je me suis dis qu’en leur racontant ma découverte, peut être pourrais-je faire partie de leur plan. Je n’aime pas être mise  à l’écart. Je pensais que Marc allait bondir de joie, courir chercher une pelle et creuser sur le champ. Un simple « Ah » est sorti de sa bouche. Alex n’a eu aucune réaction. Ils m’ont demandée de les laisser. Et là j’écris sur ce cahier pour essayer de comprendre. S’il y a une plateforme, il y a forcément une explication. Manipulation d’un gouvernement, d’extra-terrestres… Je suis triste que Marc ne participe pas à mes fabulations.

 

Marc vient de rentrer, il est très tard. Il m’a dit que je pouvais venir avec eux demain, à condition de ne poser aucune question. Je laisse cette indication si jamais nous ne revenons pas. Nous allons aller au-delà de la barrière.

 

Jour 12

 

Je suis très fatiguée mais je prends la peine d’écrire. Nous sommes donc partis le matin quand le soleil dormait encore. Alex a ouvert la barrière en bois, séparant le village de l’inconnu. Je m’attendais à une alarme ou quelque chose du genre. Rien ne se produisit. Nous avons poussé la voiture en faisant le moins de bruit possible. Marc a fermé la barrière et nous sommes partis sur un chemin poussiéreux. Alex conduisait la voiture de manière saccadée, il avait du mal à maîtriser le véhicule, à force je me suis habituée à ses secousses. Il conduisait, Marc inspectait le paysage et moi j’espérais à l’arrière rencontrer une quelconque présence. Autour de nous il n’y avait que de l’herbe bien taillée. Je n’ai pas osé demander comment cela se faisait, de peur qu’ils me laissent sur le bord de la route. Nous avons roulé jusqu’à ce que le soleil soit au zénith. Toujours le même décor. Nous avons bien essayé de sortir du sentier à droite et à gauche mais nous trouvions à chaque fois la mer comme impasse. Au bout de quelques essais, nous nous sommes contentés de suivre le chemin parfaitement droit. Il n’y a qu’une route, qui va tout le temps tout droit. Nous avons aperçu un arbre. On a décidé de s’arrêter pour faire une pause. Alex avait pris des provisions chez lui. J’avais espéré mieux le connaître durant ce voyage, mais il n’y eut pas un mot de prononcé.

Accroché à un arbre, un chiot attendait en remuant la queue. Alex descendit et le détacha. Le chiot le remercia en lui sautant dessus et en le léchant. Nous l’avons baptisé Saule, parce que l’arbre était un saule pleureur. Le chiot est en pleine forme. Nous avons attendu en mangeant en espérant que quelqu’un arrive et vienne le reprendre. Mais rien ne se produisit. Nous avons longuement hésité à rebrousser chemin mais nous étions tous les trois impatients d’aller au bout. On a roulé jusqu’à la fin du jour. Il faisait horriblement chaud. Saule respirait trop fort à côté de moi. J’étais en train de somnoler contre le chiot quand Marc se mit à crier. Je me suis mise debout dans la décapotable. Au loin une barrière, un village. On pouvait voir quelques lumières briller derrière les volets des maisons. Alex accéléra. Le chiot jappa. Il y avait des gens derrière la barrière. Ils nous attendaient. Nous entrâmes le cœur battant, croyant avoir découvert nos plus fous espoirs et les réponses tant attendues…

C’était notre village. Tout le monde était là. Je passerai le passage du sermon des plus anciens quant à notre « fugue ». Rien que d’y penser, cela m’agace. Ils nous ont regardés d’un œil noir. Nous n’avons rien fait de mal. Mais ce qui m’énerve encore plus, c’est cette impuissance. Nous avons tourné en rond. Le chemin ne mène nulle part. Il n’y a qu’une route et elle revient sur elle-même sans savoir comment. Marc a envie d’y retourner pour essayer de comprendre. Moi aussi. Mais les autres ont décidé de mettre un garde devant la barrière. Un tour de garde pour nous, quelle attention !  Ils ont peur des représailles, mais de qui bon sang ?

 

Jour 15

 

Trois jours qu’il n’arrête pas de pleuvoir. Je me rends compte que jusque là le temps était clément. L’eau coule dans notre grange. Nous avons dû partir. Personne ne veut de nous. Papy aurait voulu nous accueillir mais Mamie refuse de nous héberger. Elle pense que tout ceci est notre faute. Comme les autres d’ailleurs. Ils sont persuadés que le ciel  nous tombe sur la tête car nous avons désobéi. Foutaises ! Une pauvre barrière fermée n’a rien de mystique. C’est purement humain. Surtout qu’il n’y a rien à découvrir, rien.

La bonne nouvelle c’est que nous sommes chez Alex. Il vivait avec une femme d’une cinquantaine d’années, mais elle est partie s’installer avec Boris. Nous sommes à présent la maison des parias. Qu’est ce qu’ils m’énervent tous avec leur superstition ! Pourquoi ne cherchent –ils pas à comprendre ?

J’ai découvert une chose. Hier avec Alex nous sommes allés au magasin chercher de la nourriture. Il est vrai que je ne me suis jamais posée la question de la provenance de nos affaires. Il y a une sorte d’arrière boutique. Tous les cinq jours, elle se remplit par miracle. Des vêtements, des boites de conserve, des ustensiles de cuisine, des livres… et personne n’a l’air de savoir comment et pourquoi. Personne ne VEUT savoir comment et pourquoi. Cette fois-ci il y avait des croquettes pour Saule.

Je m’en veux un peu de ne pas avoir remarqué ce phénomène plus tôt. Marc et moi avions l’habitude que les grands parents nous livrent tout. J’aimerais bien mener mon enquête, mais Alex m’a clairement dit que si nous continuons à nous mettre les autres à dos, il nous chasserait de chez lui. Il veut se faire pardonner.

Marc vit mal le fait d’être mis à l’écart. Il aime qu’on l’écoute, il veut comprendre ce qu’il se passe et il sait qu’il n’est pas en tort. Tout le monde le voit comme l’organisateur de notre ballade, comme si Alex et moi n’avions aucune volonté. Sympa. Du coup, il doit supporter toutes les responsabilités de nos actes. Mais même avec notre soutien, je vois bien qu’il déprime. Il reste dans sa chambre toute la journée, ruminant ses pensées. Parfois il part sous la pluie et rentre tard sans nous dire un mot. Il ne veut plus parler de conspirations. Le mot d’ordre est de s’adapter à notre vie. Mais nous avons tellement de questions. Qui a construit ce village ? Quand ? Pourquoi ? Que devons nous attendre ? Que devons nous faire ? Je crois que je déprime aussi.

 


Jour 19

 

Il est plus de minuit et Marc n’est pas rentré. Je m’inquiète vraiment pour lui. Il fait trop noir pour le chercher sous la tempête. J’espère qu’il est au chaud chez les grands parents.

 

Jour 20

 

Les autres ont tué Marc. Alex est parti avec Saule à sa recherche ce matin quand la pluie s’est calmée. Son corps était sur la plage. Il essayait sûrement de dégager la plaque que j’avais découverte. Ils l’ont tué et laissé là. Je ne suis pas en colère. Je suis triste. Marc était mon ami, le seul à qui je me raccrochais ici. Je ne sais pas ce que je vais devenir. Pourquoi ont-ils fait cela ? On ne faisait rien de mal. On voulait juste comprendre. Je n’ai même plus envie de réfléchir.

Alex et moi avons trainé le corps jusque dans le jardin et l’avons enterré là. Personne ne nous a aidé. Je ne veux même pas savoir qui est à l’initiative de ce meurtre et qui l’a commis. Il y a ce sentiment d’impuissance qui m’envahit. Je dois rentrer dans les rangs, la menace est claire. Alex semble aussi abattu que moi.

 

Oh, il s’est arrêté de pleuvoir.

 

Jour 22

 

Les jours se suivent et se ressemblent. Saule a disparu peu après l’enterrement. Nous ne l’avons pas remarqué tout de suite. Nous étions trop occupés à pleurer. La barrière était bien fermée, il n’a pas pu s’enfuir. Bizarrement, les autres ont l’air préoccupé par sa disparition. Alex et moi avons abandonné l’idée qu’ils aient pu lui faire du mal. Mais c’est assez difficile pour moi en ce moment. Alex passe son temps sur la plage, je ne sais pas si c’est pour penser à Marc, ou essayer de voir si la mer ne jetterait pas le corps de Saule. Il ne veut pas que nous repartions au-delà de la barrière, de toute façon la voiture a été brûlée. 

Aujourd’hui je suis  partie avec papy à sa recherche. C’est lui qui est venu proposer son aide. Je crois qu’il culpabilise à propos de Marc. Il pense que s’il ne lui avait pas montré sa voiture, rien de tout cela ne serait arrivé. J’ai essayé de le consoler comme j’ai pu. Il a fait une attaque quand nous étions dans le petit bois. J’ai dû le trainer jusqu’à la maison toute seule. Cela m’a rappelé l’enterrement de Marc, sauf qu’il n’y avait pas de sang, ni de pluie. Je ne veux pas qu’il meure. J’écris à son chevet, il respire trop faiblement à mon goût. Mamie parle à peine, c’est mauvais signe.

 

Jour 25

 

Les petits drames de papy et Saule ont l’air d’avoir eu leur effet sur le reste de la communauté. On nous parle de nouveau. Pierre et Sophie nous ont invités à venir chez eux ce soir. Je ne sais pas si Alex aura le courage d’y aller. Il n’y avait pas de livraison de croquette pour Saule au magasin… Je les déteste tous, mais finalement je pense que j’ai eu ce que je cherchais, je commence à avoir une petite vie.

 


Jour xx 510 j’ai compté !

 

Je n’ai pas écrit sur ce journal depuis longtemps. Je réalise que cela fait un moment que je ne compte plus les jours. Papy est mort il y a un moment, Mamie est plus accariate qu’avant et je suis avec Alex. Quand il rentrera de la pêche, je vais devoir lui annoncer que je suis enceinte. Il va bondir de joie, depuis le temps que nous essayons ! Nous sommes le dernier couple à être « productif ». Le potager a donné de beaux légumes cette saison, nous pourrons faire une fête.

J’ai relu les pages précédentes… j’ai vraiment changé.

 

Jour 722

 

Alex trouve que je me pose trop de questions. Je me dis juste que nous n’avons toujours pas les réponses que nous cherchions. Mon mari n’a jamais crié comme cela auparavant. Il a sans doute raison. Nous allons être bientôt parents. Nous avons autre chose à faire. Cela ne mènerait à rien de raviver tout cela.

 

Jour xx

 

Si je devais avoir une seule réponse à mes questions, ce serait celle là : Pourquoi l’accouchement est aussi douloureux ?

Emilie est magnifique. Ah… elle pleure encore, j’écrirai une prochaine fois.

 

Jour xx

 

Alex passe un peu trop de temps avec cette Virginie. Sois disant pour aller promener les enfants. Je regrette la présence de Marc. Je ne me suis jamais sentie aussi seule.

 

Jour xx

 

Nous savons. Ce matin je me suis levée et je savais. Il est temps. Les enfants doivent partir. Nous avons ramené les jouets dans le hangar, ils ne vont plus servir avant un moment. J’ai pleuré. Emilie allait bientôt fêter son septième anniversaire et Marc ne sait pas encore marcher. Je n’ai pas envie qu’ils s’en aillent. Julie n’a pas voulu rendre son nounours. Elle ne peut pas dormir sans. Ca a été dur pour Alex de s’imposer.

Je n’ai pas toutes les réponses que je voulais. Je sais juste qu’ils vont revenir et prendre nos enfants. Qui sont « ils » ? Je ne sais pas. Pour faire quoi ? Je ne sais pas. Une sorte de conflit, je crois. Ils utilisent notre jeunesse pour leurs intérêts, et nous ramènent ici une fois que nous sommes « trop âgés » pour eux. Ce qui me réconforte, c’est que les vieux enfants vont nous être rendus. Les plus anciens espèrent qu’ils reconnaîtront leurs progénitures. Je sais que lorsque les miens reviendront, je ne saurais pas les reconnaître. Je n’ai pas honte de me l’avouer. Et si jamais c’est le cas, je ne dirai rien. Le principe est de ne pas souffrir. Pour nous consoler, Alex a proposé que nous fassions encore des enfants une fois ceux-là parti. Je ne sais pas si j’ai envie d’être encore avec lui. L’avantage de tout oublier, c’est que nous allons démarrer à zéro.

Ce soir nous organisons une grande fête où tous nos souvenirs seront brûlés. Les photographies, les coloriages, les colliers de pâtes… tout y passera. Nous avons aménagés l’école en maison pour les prochains arrivants. Ce cahier sera aussi détruit. Je n’ai pas envie de relire ces lignes alors que j’ai une chance de m’intégrer entièrement dans cette communauté. Je souris en voyant toutes les questions que je me posais. En fait que cette barrière soit fermée ou non n’avait aucune importance. Ce n’était pas une interdiction. J’ai failli proposer un pique-nique au dehors, mais j’ai eu peur des regards méprisants qu’on m’aurait lancés et qui m’aurait encore éloignés des miens. Je n’ai pas envie de cela, surtout le dernier jour. Si précédemment les barrières étaient closes, c’est parce qu’il n’y a rien de l’autre côté. Et ce vide, ce néant, ne peuvent que nous démoraliser. J’ai proposé qu’on la laisse ouverte, mais Boris m’a très vite convaincu que les nouveaux venus seraient tentés d’y aller, et déçus par ce qu’il n’y a pas. Il ne faut pas que les gens soient tristes. Nous sommes sur notre terre de repos, nous nous devons d’être heureux.

Je ne regrette pas d’avoir arrêté mes recherches. Cela aurait entrainé d’autres questions sans réponses, et j’aurais été seule et triste. La plaque sur la plage sert sûrement à faire le transfert des enfants et cette réponse me suffit amplement. Après qui sont ces gens qui enlèvent nos enfants et pourquoi ? Le savoir ne changerait rien à ma vie. Je suis impuissante. Je suis contente de tout oublier. Je veux vivre dans l’insouciance. Je pense que je serais du genre à interdire le passage de la barrière et à pester devant ces jeunes qui fouineront de partout. J’en ris d’avance.

 

Publié dans Science fiction

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R
<br /> <br /> ... même avec la fatigue de la journée et des 3h de routes du retour je n'ai pas pu m'endormir avant de lire au moins le début. Et comme le récit est prenant, j'ai tout lu. C'est vraiment,<br /> vraiment génial ! Je ne cesse d'être épaté de ton talent que je n'avais jamais soupçonné au BTS.<br /> <br /> <br /> Cela ferait un très beau court métrage même si je suis d'accord, cela demande quelques aides. Ca en vaut le coup je pense, il y'a du fond, de la forme... bref, du potentiel !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Scénario fini ! Et en anglais ! Le film sera là d'ici un an avec un peu de chance ^^<br /> <br /> <br /> <br />
X
<br /> <br /> fortement sympatique! je reviendrai!<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> coucou aurore, je vien de finir de lire ton recit, je trouve qu'il est prenant et  bien ecrit et surtout il sort un peu de l'ordinnaire. l'embiance que ta creé me confine autant que<br /> les grands auteurs qu'on peu trouver en boutiques!  continue !! biz<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Merci pour tous ses compliments, c'est très gentil et ça m'encourage beaucoup ! Merci encore !<br /> <br /> <br />
M
<br /> Bonjour Aurore - j'ai beaucoup entendu parler de vous - vous avez l'âme et le talent d'une "écrivaine" - continuez - j'aime beaucoup ce que vous faites - Amitié<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Effectivement, c'est plus rassurant. Et c'est encore plus génial, aussi. Hahahaa. Je suis fanna des trucs d'extraterrestres, tu me pardonneras!<br /> Ça fait même une belle métaphore, avec les vieux qui en veulent aux gens qui essaient de comprendre. Ceux qui posent trop de questions ne sont jamais très bien accueillis, du moins en général.<br /> <br /> <br />
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