Pharmacie (Partie 1/2)

Publié le par leslignesdegalatee.over-blog.com

Eric 45 marchait d’un pas nerveux. Ce qu’il faisait été risqué, mais mieux valait le faire maintenant que jamais. Son trajet lui semblait interminable. Le vent soufflait un tantinet trop fort sur la ville Beta. Il resserra son manteau autour de sa taille. Il avait oublié son écharpe chez lui dans la précipitation. Mais quand il avait une idée en  tête, Eric45 fonçait sans réfléchir avant que sa raison ne trouve un prétexte pour ne pas l’exécuter. A cette heure matinale, de nombreuses personnes se rendaient à leur travail, défini depuis leur naissance. Ils passaient leur chemin le regard baissé et la pensée lointaine. Lui avait pris une journée entière, au cas où… Surtout que cette fois ci, la route qu’il empruntait était nouvelle. La vie était bien simple, pour cela Eric45 n’avait pas à se plaindre. Comme tout bon citoyen, ses déplacements se résumaient au chemin du travail, celui du mégamarché et celui des rendez vous communautaires. Mais celui  jusqu’à la pharmacie lui était inconnu. La vie d’un homme était comblée s’il n’empruntait jamais cette route. Eric45  s’arrêta. Il pouvait retourner chez lui  et profiter tout simplement de cette journée, il trouverait une excuse pour le patron demain et c’est tout. Un homme en tenue de travail le bouscula. Eric45 repartit aussitôt, avant que l’homme ne se retourne et ne se pose trop de questions. Un homme qui s’arrête sur la voie publique est dangereux, ses préoccupations sont forcement hors la loi et prévenir la police du quartier est le devoir de tout citoyen. Et lui n’avait plus le choix, il devait avancer, faire demi-tour serait perçu comme louche. Il avait assez de problèmes comme cela sans que la police ne le suive. Il pressa le pas. Marcher était toujours aussi désagréable pour lui. Il regrettait le temps de son enfance où on pouvait encore utiliser ces vieux métros poussiéreux. Ils ne roulaient pas vite, mais ces tunnels sombres, sous la terre, sans aucune surveillance policière, lui donnait une sensation de liberté juvénile. Et dans ses instants, tout lui semblait possible. Mais la réforme était claire, être en pleine possession de ses moyens. La communication est futile, il faut travailler au service de la médecine. Le reste n’avait que peu, voire pas d’importance. Il arriva enfin à destination. Le bâtiment se trouvait sur une vielle place désertée, entourée d’habitats délabrés d’un autre siècle. Là haut dans le ciel, volaient des voitures dernier cri. Seuls ceux qui avaient un grade pouvaient en posséder. Les autres marchaient à pied, pour la forme. Eric45 avait toujours rêvé de conduire une voiture de ce genre. En posséder une relevait de l’utopie vu sa faible espérance de vie, mais tenir un volant dans ses mains restait un de ses principaux objectifs. Ressentir encore une fois le vent dans ses cheveux, cette sensation que le destin est entre ses mains, que l’on est capable de tout… Eric 45 fronça ses sourcils broussailleux et passa une main sur son crâne dégarni. Cela resterait un rêve à tout jamais, il le savait. Il devait à présent se concentrer sur la réalité.

Il entra la tête basse dans la pharmacie. Les cartons de médicaments derrière le comptoir n’étaient pas encore ouverts. Eric45 frémit. Peut être était il venu trop tôt ? Cela pourrait être suspect. Son regard hâtif aux alentours montrait qu’il était seul dans le magasin. Il était le premier client. Il avança vers le comptoir, le pas traînant et les joues rouges.

        - Oui bonjour, ce serait pour un test de grossesse.

L’homme de l’autre côté du comptoir haussa un sourcil, « Mr Hima » indiquait son badge.

- Depuis combien de temps pensez-vous l’être ?

- Deux mois ou trois, répondit Eric 45 en rougissant de plus belle.

Hima se retourna, tira un long tiroir et prit une boîte qu’il lui tendit.

- Allez dans la cabine 5.

 

Eric 45 referma le rideau, sentant le regard réprobateur du pharmacien sur lui. La cabine était assez simple, juste de quoi accrocher son manteau. Un écran occupait une partie du mur central. La lumière qui éclairait le compartiment clignotait sans cesse, donnant un aspect lugubre à la scène. Eric 45 ouvrit la boîte et inséra le disque optique dans la fente prévue à cet effet. Son cœur battait à cent à l’heure. Il se frictionna la poitrine en enlevant son manteau, espérant ainsi que ses battements cesseraient de lui faire mal. Il suivit les instructions de la voix automatique à la lettre, essaya de ne pas pleurer quand il dût s’insérer une aiguille dans le bras et finit par insérer le tube rempli de son sang dans un trou. Un long silence pesant ampli l’air. Tout se jouait maintenant.

L’écran s’alluma sans prévenir. Eric45 se mit au garde à vous, par pur réflexe. Un vieil homme, en blouse blanche et lunette, le toisa du regard. Les machines derrière lui, d’un autre temps, brillaient de tout leur éclat.

- Déclinez votre identité.

- Eric 45, né dans la section 51, étage B, en l’an 246 APA. Travaille dans le secteur pédiatrique.

Il déglutit. Avait-il bien pensé à tout dire ? Il tira sur sa chemise nerveusement. Le scientifique ne lui jeta même pas un regard.

- Bien, ce n’est pas fameux tout ça, vraiment mauvais. Qu’est ce qui vous est arrivé ?

- Je ne comprends pas docteur. J’ai mangé des légumes, je mange peu de viande, peu de féculent, je prends tous les OGM conseillés dans le livre suprême.

- Pourtant à vu d’œil vous avez dix kilos de trop. Mauvais, très mauvais.

L’écran sautait sans cesse. La voix du scientifique semblait lointaine et grésillait suivant les interférences. Eric45 tendit l’oreille pour essayer de percevoir les mots essentiels. Il sourit intérieurement. L’être suprême mettait tous les moyens possibles au service de la médecine, et par conséquence, tous les moyens de communication étaient retournés à un âge dépassé. Il s’était toujours demandé si l’image d’un appareil nommé téléphone était un rêve d’enfant, ou une réalité lointaine.

- Et le chocolat, vous en prenez ? C’est mauvais tout ça, mauvais, mauvais.

- Non j’ai arrêté, j’ai pris des patchs pendant quelques temps, et maintenant je me sens bien.

- Pas de rechute dernièrement ?

- Non.

Bien sûr qu’il faisait des rechutes, tout le monde en faisait. C’était son seul plaisir le soir, manger du chocolat qu’il confisquait aux enfants de son secteur. Le goût du café lui manquait énormément. Cet arôme qui embaumait toute sa maison le matin. Mais les directives étaient claires. Il ne fallait pas que la population soit agressive. C’était pour le bien de la société. Eric45 revoyait l’image de tout ce café enterré pour le bien de la communauté…

- Moui…. Je pense que vous connaissez votre résultat non ?

Une grosse goutte perla sur le front d’Eric 45. Il ne voulait pas en finir maintenant. Tout ce qu’il demandait, c’était de piloter une voiture.

- N..N…Non…non.

Il en prendrait une rouge métallisée, avec des sièges en cuir….

- Votre test est positif, c’est limite tout ça. Vous prenez du poids. Mais il ne faut pas grossir, mauvais, mauvais tout ça.

Et cette sensation de vent sur son crâne dégarni.

- Il va falloir suivre un traitement strict, c’est compris ?

Un poids s’enleva soudain du cœur d’Eric45.

- Oui, oui, je ferais tout ce que vous voudrez !

Un papier sortit de la fente en dessous de l’écran. Il ne restait plus beaucoup d’encre. Une fois qu’elle ne marcherait plus, la cabine serait certainement condamnée…

- Apportez ces instructions au pharmacien, et ne commettez pas d’erreur, la prochaine sera fatale.

- Bien monsieur, merci, merci.

L’écran s’éteignit. Eric 45 se rhabilla et sortit de la cabine, soulagé. Il se dirigea vers le comptoir d’un pas guilleret.

 

Un second pharmacien se trouvait là, son badge le nommait « Mr Pios ». Il écoutait d’une oreille attentive les divagations d’Hima, en rangeant les cartons de médicaments fraîchement arrivés.

- Tu te rends compte qu’à l’époque, les pharmaciens distribuaient des contraceptifs pour éviter que la femelle ne soit engrossée ! Il y avait même des tests pour savoir si elle était enceinte ou non.

- Hima arrête de dire cela !! Tout ceci est pure fantaisie, tu ne vas pas me faire croire qu’ils le faisaient comme… comme…  des animaux !

- Si je t’assure, certains vivaient même avec des animaux chez eux, « de compagnie » qu’ils les appelaient. Et ils avaient un espace vert autour de leur habitat !!

- Arrête de lire des livres de science fiction Hima, ça te fait dire n’importe quoi…

Pios leva les yeux vers Eric 45. Son regard se glaça et son corps se raidit.

- Oui c’est pourquoi ?

Les battements de cœur d’Eric s’accélérèrent. La conversation qu’il venait d’entendre était risqué. Comment des hommes aussi bien placés pouvaient ils prendre le risque de parler en public de sujets tabous ? Il suffisait qu’ils se trompent dans l’ordonnance, et Eric45 ne pourrait jamais  répéter de ce qu’il venait d’entendre.

- Tenez… Le médecin m’a donné l’ordonnance.

- Grossissement c’est ça ? commenta Pios du bout des lèvres.

Il prit le papier et le déroula. Il était presque aussi long que le pharmacien, de petite taille. Il lut calmement tout ce qui était demandé. Eric 45 observa l’homme. Il aurait aimé être à sa place. Il avait au moins un nom à lui. Il n’était pas bien vieux, sûrement une trentaine d’années. Hima par contre approchait de la cinquantaine, encore quelques années et il ne serait plus de ce monde. Ses gestes étaient lents et ses idées commençaient à divaguer. Il aurait aimé naître dans le secteur de la médecine. Après une bonne éducation, ses êtres étaient directement placés dans les meilleurs emplois de ce monde. Leur cadeau pour leur diplôme était une voiture volante. Bien sûr, c’était un modèle économique, voire dépassé, mais elle gardait encore un aspect pratique. A 25 ans, ils pouvaient conduire sur les nuages tout le long de la nuit, et peut être voir cette fameuse lune que l’on entend trop souvent dans les fables. Son regard se posa sur les écrans en noir et blanc à l’arrière. Des pics saillants occupaient le bas du cadre. Il ne finirait pas dans ce sous sol. Pas cette fois. Le carton qu’on posa brutalement devant lui le fit sortir de ses pensées.

- Voilà vos médicaments, lança froidement Pios. Il y a un disque optique qui vous expliquera tout dedans. 5400 Earth, dit il en tendant la main.

Eric 45 fouilla dans ses poches. L’argent était là. Il l’avait pris au cas où, sans vraiment y croire. Cela faisait quelques temps qu’il s’était mis dans la tête qu’aujourd’hui serait les derniers instants de sa vie. Le fait qu’il y ait toujours de l’air qui passait dans ses poumons le rendait particulièrement heureux. Il tendit une liasse de billets fièrement au pharmacien et prit son carton. Il sortit le cœur léger de la pharmacie. La société lui accordait une dernière chance, et il allait la saisir.

#

Pios regarda l’homme partir et un rictus dédaigneux apparut sur son visage. Les rondeurs de ce corps à moitié pourri lui donnèrent un haut le cœur. Son métier avait parfois des aspects bien difficiles pour sa pauvre âme.

- Je ne pensais pas que celui là s’en tirerait.

- Moi non plus.

Pios sursauta. Il n’avait pas vu Igor192 arriver. Comme toujours l’homme baraqué était d’une discrétion irréprochable, malgré sa forte corpulence. Cela faisait pourtant quelques années maintenant qu’il avait rejoint ce service. Pios avait eu beaucoup de mal à s’adapter à ce sous-être, mais c’est vrai qu’il était très pratique.

- Ça se voit que la succession approche. Les prétendants veulent bien se faire voir du peuple.

- Igor192 moins fort, chuchota d’un ton rageur  Pios.

Comment pouvait-il oser tenir de tel propos ? Pios avait bien senti que depuis quelques mois, Igor192 prenait plus en plus d’aisance dans ses propos. Il l’avait même vu une fois feuilleté un magazine sur les appartements dans son secteur. Comme si lui, pouvait un jour devenir un pharmacien ! Le cas arrivait bien sûr, mais autant de fois que la neige qui tombait dans le désert.

- Je disais que ça me donne moins de boulot, je ne me plains pas.

- Je te rappelle que si le duc de Picdels devient notre suprême, nous remplacerons ces piques par des injections mortelles, alors si tu veux moins de travail mon cher, tu sais vers qui ta voix doit aller…

Un cri d’une vieille dame provenant d’une cabine résonna dans la pharmacie. Sur le vieil écran en noir et blanc, un corps tomba sans grâce sur les pics.

- Ah, il faut que j’y retourne, dit gaiement Igor192 en descendant les marches cachées derrière le comptoir.

 

La sonnette d’entrée retentit. Un homme noir entra précipitamment. Hima se pencha par dessus le comptoir, bousculant Pios.

- Un blanchissement c’est ça ?

- Oui, vite s’il vous plaît.

L’homme se rongeait les ongles et regardait désespérément vers la sortie. Hima plongea sa main sous le comptoir et en sortit une étrange boîte.

- Cabine 1.

L’homme prit l’objet, la main tremblante, et se réfugia dans le compartiment. Un silence lourd s’installa dans la pharmacie. On pouvait percevoir légèrement le pied de Pios tapotait de mécontentement.

- Hima !

- Oui, je sais ce que tu vas dire Pios.

- On n’a pas le droit, ça va nous attirer des problèmes tout ça.

Pios pointa un geste brusque vers la cabine 1. Hima commençait sérieusement à l’agacer. Cet homme prenait des risques inutiles. Et sa position ne le protégerait pas éternellement. Parfois Pios se demandait ce qui le retenait de ne pas prévenir le service de haute surveillance.

- Je rends service c’est tout.

- Ah bon ? A qui ? A la société ?

- Sérieusement en quoi une couleur de peau nous différencie ? Cet homme a autant de capacités que toi ou moi ! Désolé si j’ai des idéaux cher ami !

- Tes seuls idéaux doivent seulement être ceux du suprême.

- Continue de ranger les médicaments s’il te plaît.

Pios plongea sa main dans le carton. Son collègue se comportait de manière romanesque, sans penser une seule seconde aux gens qu’il l’entourait. Le jour de livraison était toujours délicat. Il fallait faire vite, pour éviter tout vol, mais continuer de s’occuper des clients. Les hommes rangèrent un carton de médicaments sans dire un mot. Pios attendit que l’atmosphère se détendit un peu avant de faire comprendre à cet entêté les risques stupides qu’il prenait pour des gens sans valeur. Il respira un bon coup, l’affaire allait être délicate.

- Je ne comprends pas pourquoi tu aides ces gens. Ils ne sortent pas d’éprouvettes. Ils se conduisent comme des animaux, ils se reproduisent entre eux. C’est interdit, tu le sais ça ? Ils communiquent avec la nature, ce sont des sorciers. Tu crois que tu vas l’aider en changeant sa couleur de peau ? Tu crois que sa haine envers nous va changer en même temps que le teint de son être ? Vraiment je ne comprends pas.

- Mon père était noir.

- Ton père ?

- Oui, mon maître, le scientifique qui m’a mis au monde.

- Tu l’appelles « père » ?!

- Oui pas toi ?

Le regard des deux pharmaciens se croisa. Il y avait bel et bien une différence d’univers entre ces deux là. L’échantillon dont Pios était issu était forcément une amélioration de ses aînés, et il appréciait tout particulièrement qu’il ne connaisse pas cette sentimentalité timorée. Un gêne s’installa peu à peu derrière le comptoir.

- Non, bien sûr que non. Je n’ai même pas gardé mon éprouvette en souvenir. Tu veux dire qu’un scientifique est noir ? Là dehors, il y en a qui contrôlent les naissances des futures générations. Oh mon Suprême !

- Il s’est fait blanchir, personne ne le sait. Il me l’a dit quand il m’a incité à devenir pharmacien. Je me souviendrai toujours de ce moment…

Hima était en train de lui confier un secret. Pios n’en revenait pas. Un homme de son rang lui faisait part de ses sentiments. C’était plus qu’il n’en pouvait en supporter.

- Et tu ne l’as pas dénoncé ? Je suis sûr qu’il magouille des trucs pas nets, et du coup, qu’il existe encore des gens comme lui, dit Pios en désignant la cabine 1. Moi je me fous de ce que tu fais, mais ne m’implique pas là dedans. Je télégraphe la police.

- Franchement…

La sonnerie de la porte arrêta le débat. Pios se dirigea à l’arrière de la pharmacie d'un air décidé  en marmonnant le message qu'il allait écrire. Hima voulut l’en empêcher mais les nouveaux clients étaient déjà au comptoir.

 

A Suivre...

 

Publié dans Science fiction

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
F
<br /> Un petit coucou pour te dire que je suis passé lire tes écrits.<br /> Je te raconterai ce que j'en pense sur MSN.<br /> <br /> Voilà voilà.<br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> Bonjour ! je t'invite à t'inscrire sur ma communauté " manuscrits des futurs auteurs " à bientôt<br /> <br /> <br />
Répondre